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La psychanalyse nous invite à la prudence et se garde de toute forme de passion de la vérité pour tous : acquérir un savoir sur le réel en jeu pour un sujet n’aboutit pas à un savoir sur la vérité des êtres vivants dans leur ensemble. Le dernier enseignement de Lacan fait d’ailleurs tomber l’idée selon laquelle l’inconscient serait histoire et savoir et serait, dans ce cas, déchiffrable jusqu’à la moelle.
Cette passion de la vérité « par quelques biais qu’on l’aborde, appartient au registre du sens […] » , là où, le rapport princeps du sujet au réel est la défense et non le sens. Se défendre du sens revient à supporter, en d’autres termes, que tout ne peut s’interpréter, que « le réel ne s’accorde pas à la vérité » .
En ce sens, s’orienter du réel ou de la vérité ne donne pas une seule et même lecture sur le monde. Ainsi, les neurosciences n’ont pas vraiment besoin de s’attarder sur la logique subjective pour porter au jour une vérité sur le vivant. Force est de constater que la psychanalyse et les neurosciences ne s’attèlent pas au même objet de savoir. Probablement complémentaires, dans le sens où elles sont toutes deux amoureuses de l’héritage des lumières, sans être un seul instant superposables. Toute tentative de recherche qui consisterait à psychanalyser les neurosciences ou de neuroscientifiser la psychanalyse aboutirait à un échec cuisant. Cette passion de la vérité enrichit le discours scientifique, tout particulièrement les recherches sur le fonctionnement neuronal dans son ensemble. Les neurosciences ouvrent tout un champ de savoir qui était jusqu’alors resté énigmatique. Les dernières découvertes sur le fonctionnement de la mémoire sont une promesse inespérée pour comprendre certaines pathologies cérébrales. Ce savoir qui encadre les observations cliniques du neuroscientifique ne prétend pas s’occuper des coordonnées subjectives et singulières. Tel un point aveugle au discours de la science, la dimension irréductible du trouble n’est pas traité. Laissons cela aux psychanalystes !
Prenons un exemple. Que les modifications cérébrales et les troubles cognitifs, dans le cadre des perturbations fonctionnelles suite à un accident mettent à jour une théorie sur le fonctionnement neurologique dit « normal » est bien évidemment soutenue par la psychanalyse. Ce n’est en aucun cas du même objet dont elle s’occupe. La psychanalyse, elle, s’occupe davantage de l’événement « dans la spécificité qu’il prend pour celui qu’il concerne. Ainsi peut-on dire que l’accident est unique. » Derrière l’atteinte cérébrale, il y a une logique subjective, toujours une, laquelle reste irréductible aux différents savoirs scientifiques. L’un et l’autre n’annulent pas la dimension de vérité qu’elles sous-tendent. L’élaboration neuroscientifique s’occupe du sens absolu et généralisable de la fonctionnalité de la cognition chez l’être humain. Cette perspective scientifique touche à la vérité générale et globale du fonctionnement neurologique.
Lacan enseigne qu’il existe bel et bien un point de butée qui achoppe même à la fin d’une cure analytique. Déchiffrer toute la vérité sur les motivations inconscientes est un impossible. Ce point de butée, non déchiffrable du côté du sens, est ce qu’il a identifié comme étant le réel. Ne pas réussir à tout dire sur notre propre vérité, ne signifie pas faire silence autour du réel.
Autrement dit, la psychanalyse ne bouche pas la béance qui existe dans le savoir, bien au contraire, elle l’entrouvre. Les neurosciences, elles, s’évertuent à la camoufler entièrement en portant au zénith la vérité comme idéal - véritable objet algamatique de la science. La mise en forme des unités de mesure quantifiables en est la preuve. En cela, il s’agit de mesurer la fiabilité des raisonnements scientifiques. Appliquer ces méthodes de quantification à l’ensemble des champs de savoir en prônant le tout-quantifiable est un risque totalitaire extrêmement dangereux qui annihile les différences.
Les neurosciences ne cessent de fantasmer ce vieux rêve d’idéal d’une harmonie par le calcul global et scientifique des rouages du cerveau humain. Tel un vieux couple, la dispute est inévitable dans la mesure où la psychanalyse lui chuchote à l’oreille : tu rêves ! L’ensemble des êtres humains ne peut être mesuré à partir d’une seule logique de calcul. La résistance face à ce point aveugle fait la vie dure à la psychanalyse. Les dernières recherches le démontrent, celles qui consistent à rechercher et à identifier les bases neuronales des comportements humains. L’idéal darwiniste n’est pas si loin, ne l’oublions pas.
La psychanalyse ne nie pas les bases biologiques mais elle a le mérite de défendre une certaine vigilance quant aux recherches actuelles.
Faire battre les cœurs à l’unisson - véritable point aveugle du neuroscientifique - n’en demeure pas moins un idéal impossible à soutenir.
Amandine Mazurenko
Psychologue clinicienne
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« Le courage libère les hommes de leur souci de la vie. Le courage c’est la capacité que chacun d’entre nous a de sortir de la sphère privée, où il est à l’abri des périls du monde, pour s’exposer sur une place publique et faire valoir quelque chose qui engage le monde, qui engage les autres et qui engage la communauté humaine. »
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Retour d'expérience en CAMSP
L’attente et l’arrivée d’un enfant constituent une étape très singulière dans la vie d’une femme et, a fortiori, dans la vie du couple. De façon générale, devenir parent engendre des bouleversements psychiques et affectifs, sans lesquels la réponse aux besoins de l’enfant ne serait pas possible. La grossesse, jusqu’au terme de maturation, est un processus de symbolisation qui s’inscrit dans la durée et qui vient s’insérer dans la construction imaginaire du bébé à venir. Il s’agit donc d’un temps logique nécessaire à l’accueil et à l’attachement de ce petit être à venir. Plus précisément, la matérialisation du fantasme de l’enfant à venir se fait lors des premiers mouvements du bébé. Toutefois, le désir d’avoir un enfant se nourrit et se construit tout au long de la grossesse.
Dans certains cas, cette réorganisation et cette élaboration psychique peuvent être bouleversées par l’arrivée inattendue du bébé avant son terme. La naissance prématurée d’un enfant engendre alors d’autres réaménagements aussi bien du côté des parents que du côté de l’enfant. La rencontre entre le parent et l’enfant est alors marquée par de nombreuses interventions médicales jusqu’au terme du bébé et ce pour éviter toute atteinte neuro-motrice grave. Le grand prématuré, trop petit pour pouvoir respirer de manière autonome, subit tout un protocole bien précis, jusqu’à maturation du système respiratoire. La première rencontre ne se passe donc pas simplement entre le parent et l’enfant mais se compose aussi de machines respiratoires et de nombreuses autres technicités et interventions médicales. Dans les situations de prématurité, la rencontre est alors sérieusement altérée et mise à mal. La proximité d’avec le bébé est donc clairement entravée, ce qui touche directement la relation précoce du bébé à son Autre maternel .
Certains parents peuvent me relater, dans le cadre des entretiens, le basculement de l’événement heureux vers un événement rempli d’angoisse. Une femme m’explique : « on m’a enlevé mon fils et je n’ai pu le voir qu’un jour après l’accouchement. J’ai l’impression d’avoir manqué la rencontre avec mon enfant. » Une autre peut me dire : « tout a basculé très vite et je n’ai pu l’investir qu’au moment où son état vital n’était plus engagé, c’est-à-dire trois mois après sa naissance ». Un homme précise « ne pas avoir pu aller voir son enfant à l’hôpital avant que ce dernier ne soit hors de danger de mort ». Tous ces jeunes parents me font part, à chaque fois de façon singulière, de cette « proximité » manquée dès la naissance et de leur culpabilité ressentie d’emblée dans le fait d’avoir été « privé » de leur enfant.
La perte de l’idéalité du bébé, qui généralement se construit pendant la grossesse, se fait alors dans ce cas très rapidement et très brutalement. Le devenir mère ou devenir père est immédiatement confronté au surgissement du réel de la perte possible de l’enfant. Or, ce réel, en grande majorité, reste toujours voilé derrière le désir d’enfant et ne se dénude ou ne s’entrevoit qu’en cas d’atteinte sur le corps du bébé. Et il apparaît que ce réel doit nécessairement rester voilé pour que naisse le désir d’enfant du côté des parents.
Par ailleurs, pour les prématurissimes dès les premières semaines de vie, « le sentiment continu d’exister » est clairement altéré et touché. Les parents sont eux aussi très fragilisés. Les premiers soins sont ainsi rythmés par les soins médicaux de première nécessité. La naissance de l’enfant qui est déjà marquée d’une fracture existentielle pour n’importe quel sujet, c’est-à-dire d’un avant et d’un après pour la mère, est aussi marquée par l’altération de soins et de contacts avec le bébé. Les parents sont donc contraints de vivre les premiers moments d’échange avec leur enfant en néonatalogie et ce pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois. Ils sont à la fois aux prises avec la question du devenir de leur enfant dans le temps présent et à la fois aux prises avec la question de l’après hôpital avec toutes les craintes que cela engendre systématiquement.
Même si la prématurité n’engage pas nécessairement un risque vital, les angoisses de mort surgissent inévitablement du côté des parents, même de manière infime. Cette situation n’est pas sans provoquer un sentiment d’étrangeté mêlé d’inquiétude. De plus, l’arrivée d’un enfant prématuré est aussi à relier au propre vécu et au propre symptôme des parents. Du point de vue de la psychanalyse, nous savons combien le désir d’enfant est toujours singulier et singulièrement pris dans le fantasme inconscient du sujet. Ce parcours en néonatalogie sera dès lors, lui aussi, vécu de façon toujours singulière et bousculera inévitablement certaines lignes et contours du parlêtre. Le sentiment d’être parent est ainsi rythmé par un Autre-médical qui est là pour montrer les premiers soins à offrir au prématurissime. Le parent doit ainsi répondre aux protocoles de premiers soins à donner à leur bébé en suivant les recommandations du personnel hospitalier (NIDCAP : Neonatal Individualized Developemental Care and Assessment Program). La sphère médicale devient ainsi le deuxième partenaire familier du nouveau-né et des parents. Une seconde étrangeté se dévoile au sein de cette sphère, plus médicalisée que de coutume, et sur laquelle les parents n’ont aucune maîtrise et dont ils sont même tributaires. Si devenir mère ou devenir père revient à renoncer à tout contrôler, cette expérience confronte le parent à ce réel de manière bien plus radicale.
Les vertiges de la naissance.
Le petit être, en tombant dans le monde, est aux prises avec l’extrême dépendance à son environnement pour explorer et préserver son besoin de proximité d’avec celui-ci. L’enfant ne se construit pas tout seul et a besoin d’un environnement suffisamment sécure pour passer de cet état d’objet de soins, nécessaire à sa construction, à celui de sujet à part entière. La construction du sujet se fait donc en creux de quelque chose, c’est-à-dire pas sans un Autre primordial et pas sans un manque fondamental. C’est grâce aux soins reçus par le parent que le bébé peut se construire une existence propre et personnelle. « Si personne ne se trouve là pour faire fonction de mère, le développement de l’enfant s’en trouve infiniment compliqué ».
Dans le développement et la représentation du sujet, le précurseur du miroir est le visage de la mère. Mère est à entendre dans le sens général, c’est-à-dire dans le sens d’un Autre primordial référent de l’enfant. Le bébé se voit exister dans les yeux de son parent.
Par conséquent, l’enfant se constitue à travers la réponse de l’Autre et il reste dépendant de son environnement pour se développer. Sans la réponse d’un autre constant, l’enfant éprouve beaucoup de mal à se développer dans son environnement. Il se trouve vite confronté à des situations d’abandon, de carence précoce et même de dépression du nourrisson (Spitz). Autrement dit, le petit d’homme a nécessairement besoin d’être objet du désir de quelqu’un d’autre, et sujet pris dans une relation élective et non anonyme pour se construire psychiquement. Notons que l’enfant n’est aucunement passif dans la relation mais endosse aussi une part active. A chaque naissance, une adoption entre l’enfant et le parent se tisse. Il s’agit toujours d’une rencontre qui se passe dès la naissance de l’enfant et qui vient arrêter tout le temps de latence précédant son arrivée.
L’accompagnement des parents.
C’est en prenant la mesure de la nécessité d’une présence d’amour et de sécurité des parents auprès de l’enfant que le personnel hospitalier prend soin de soutenir la famille. Les effets humanisants de la parole vont d’abord impacter le corps des parents et a fortiori le corps de l’enfant. « Le monde du nourrisson est un monde charnel marquépardesperceptions, des communications, des rencontres, des ressentis, des reconnaissances. L’enfant est activement réceptif et porte son attention à ces différents échanges. En dehors du langage verbal, il y a aussi les langages olfactifs, visuels, gestuels, rythmiques et viscéraux. L’enfant est pris dans cette communication interpsychique, sensorielleetlangagière dont les ponctuations signifiantes se répètent grâceaux soins quotidiens lui permettant de se relier ainsi au vécu inconscient de la mère. »(Françoise Dolto, Tout est langage).
Amandine Mazurenko
Psychologue clinicienne
En relisant Arendt, nous pouvons percevoir, non sans gravité, que les conditions de vie d’une minorité de personnes restent tout aussi déplorables qu’en 1945. Il suffit de changer un mot, un seul, pour s’en apercevoir. « L’équilibre précaire entre l’Etat et la société, sur lequel reposait, socialement et politiquement, l’Etat-nation, détermina une loi curieuse concernant l’admission des (Migrants) dans la société. Face à l’égalité politique, économique et juridique accordée (aux migrants), la société proclama nettement qu’aucune de ses classes n’était prête à leur accorder l’égalité sociale, et que l’on admettrait que des cas exceptionnels. » (H. Arendt, Les origines du totalitarisme, chapitre III les juifs et la société, Editions Gallimard 2002, page 285). Le texte de Arendt, où l’on change le mot Juif en celui de migrant est éminemment contemporain. Effroyablement, la situation actuelle des personnes en refuge-en sursit en France est identique à celle des déplacements de populations entre 1940 et 1945. Paria, parvenu, apatride : autant de mots pour nommer l’ombre innommable de l’étranger fuyant la guerre.
Ils s’efforcent chaque jour à oublier leur condition d'apatride.
L’abolition des préjugés est très souvent un processus à sens unique. La société toute entière presse les réfugiés de Calais à être impassibles, corrects, invisibles alors que, cette société elle-même, s’autorise tous les droits de violence sur les réfugiés.
On module, on choisit certains mots plutôt que d’autres pour enlever un peu d’humanité ; on privilégie l’usage du mot « migrant » à celui d’hommes et femmes réfugiés en souffrance.
« La République a laissé tomber un peu d’elle-même…La France est peureuse, et l’Europe toute entière prend des airs de fossoyeur. » A la nuit tombée, ils partent, silhouettes fugitives. Seront-ils de l’autre côté ce soir ? A la nuit tombée, ils marchent sans parler. Chacun se ferme au compagnon de route et reste concentré sur cette prière qui a pour nom l’Angleterre… la boue les suit jusqu’ici. Et il y a de la place encore. La mort a toujours faim et elle attend patiemment ces corps jeunes». (Y. Moreau, Film documentaire-témoignage, Nulle part en France, Janvier 2016.)
A la nuit tombée, les invisibles « nouveaux spécimens de l’humanité » , pour reprendre l’expression de Arendt, quittent la terre pour rejoindre leur vie rêvée. (Y. Moreau, Film documentaire-témoignage, Nulle part en France, Janvier 2016.)
Amandine Mazurenko
Psychologue clinicienne